Le son des tambours et des voix s'élève au-dessus du bruit de la circulation du centre-ville. Le 15 juin, sous un plein soleil, des centaines de personnes se sont rassemblées devant l'hôtel de ville de Calgary, certaines portant des pancartes peintes à la main, d'autres accompagnées d'enfants, d'autres encore enveloppées dans des jupes à rubans et des keffiehs.
Au sein d'un espace de protestation plus vaste, rempli de groupes divers, le rassemblement « Hands Off Our Water » (Ne touchez pas à notre eau) a réuni des personnes autochtones du territoire du Traité 7, des gens du milieu communautaire, des militant·e·s pour la justice des migrant·e·s et des défenseur·euse·s de l'environnement dans une puissante manifestation de résistance. Organisé par le Calgary Climate Hub en partenariat avec Keepers of the Water, Indigenous Climate Action, les membres de la Nation Piikani, Migrante Alberta, Jubilee, Justice for Palestinians, CUPE et d'autres, l'événement collaboratif a mobilisé une coalition aussi interconnectée et intersectionnelle que la crise en question.
Diplomatie à la montagne, résistance en ville
À quatre-vingt-six kilomètres de là, à Kananaskis, isolé derrière des points de contrôle de sécurité et des barrages routiers de la GRC, le sommet annuel du G7 était en cours. Située sur le territoire du traité n° 7, dans le sud de l'Alberta, et abritant diverses communautés des Premières nations (telles que les nations de la Confédération des Pieds-Noirs ou Siksikaitsitapi, les Nations Stoney Nakoda et la Première Nation Tsuut'ina), cette station de montagne pittoresque a servi de forteresse aux dirigeant·e·s politiques des pays les plus riches du monde, qui s'y sont réuni·e·s pour discuter des priorités économiques de la planète.
Cependant, pour de nombreux observateurs, le G7 de cette année s'est révélé déconnecté des réalités urgentes auxquelles sont confrontées les communautés. Au milieu de ce spectacle diplomatique, le rassemblement « Hands Off Our Water » (Ne touchez pas à notre eau) a offert un contrepoint saisissant, aux côtés d'autres contingents comprenant des manifestants dénonçant les violations des droits de l'homme et les crimes de guerre commis au Tigré, en Palestine et au Cachemire.

Des groupes citoyens divers et des résident·e·s de Calgary se réunissent pour faire entendre leur voix alors que le sommet du G7 bat son plein.
« C'était vraiment génial de voir que, alors qu'il y a de nombreux problèmes sévissent dans le monde, nous étions tou·te·s ici pour dire quelque chose à ce sujet. Les gens étaient prêt·e·s à manifester leurs préoccupations [et] celles de leurs communautés. Il ne s'agissait pas d'un événement isolé, mais l’expression d'un mouvement plus large", déclare Talynn English, chargée de programme au Calgary Climate Hub.
Ne touchez pas à notre eau !
Sur les marches de la place municipale de Calgary, les orateur·rice·s ont attiré l'attention sur la dégradation de longue date de l'eau, sur l'héritage de l'industrie extractive et sur le déni continu du droit des communautés autochtones à une eau propre, sûre et autogérée. Des puits contaminés aux avis d'ébullition de l'eau retardés, l'incapacité systémique à donner aux communautés autochtones les moyens d'agir persiste. Et aujourd'hui, avec une législation comme le projet de loi C-5 qui menace de mettre de côté les évaluations environnementales et bafouer les droits autochtones inscrits dans la Constitution, beaucoup craignent que cette loi mette en péril la santé et la sécurité publiques.
« L’un des intervenant de la nation Piikani a parlé de la contamination de l'eau et de l'impact de l'accélération des projets d'exploitation des combustibles fossiles et de la menace qu'ils représentent pour nos systèmes d'approvisionnement en eau » , se souvient Talynn, en référence aux pouvoirs considérables que le projet de loi C-5 accorderait au cabinet fédéral pour désigner des projets d'infrastructure dans l' «intérêt national» et passer outre les processus de consultation destinés à garantir la souveraineté autochtone et à protéger la santé écologique.

Membres de communautés autochtones et leurs allié·e·s brandissent des banderoles appelant à la souveraineté autochtone, à la justice climatique et à la protection de l'eau et de la terre.
Les intervenant·e·s ont ensuite établi un lien direct entre la négligence internationale et les dommages locaux. Les décisions prises dans des endroits comme Kananaskis se répercutent vers l'extérieur, par l'affaiblissement des protections et des garanties imposées par des lois comme le projet de loi C-5, par le sous-financement des infrastructures dans les communautés autochtones et par l'incapacité à faire face aux causes sous-jacentes de la crise climatique, qui découlent du colonialisme et du capitalisme.
Tout en critiquant l'échec des gouvernements et des grandes entreprises, le rassemblement était également un appel à la reconnaissance et à l'affirmation du leadership autochtone qui offre depuis longtemps des modèles de soins, de gestion et de résistance.
Le thème de la gouvernance autochtone de l'eau, au cœur du message du rassemblement, a d'abord été présenté au Centre de Calgary par le Chief Steering Committee (CSC), un groupe basé en Alberta qui a fait part de ses inquiétudes concernant la législation canadienne sur l'eau potable proposée aux communautés des Premières nations. Bien que le CSC ait dû se retirer en raison de circonstances imprévues, les organisateur·rice·s du rassemblement ont poursuivi sur ce thème en s'appuyant sur les conseils d'autres partenaires autochtones engagé·e·s autour de ce même dossier.
« L'un des sujets abordés par certains orateur·rice·s était de considérer le leadership climatique autochtone comme un leadership climatique tout court », se souvient Talynn, qui note que ce thème a été repris tout au long du rassemblement, tant dans les mots que dans l'esprit. « Les communautés autochtones ont toujours été à l'avant-garde des solutions climatiques. Il est donc prioritaire de s'appuyer sur ces connaissances au sein des universités, des institutions politiques et des organisations à but non lucratif.»
Vous pouvez lire le récent rapport d'Indigenous Climate Action, Landback is climate policy, qui souligne l'importance de la reconnexion à la terre, à la culture et à la langue dans la politique climatique.
Protéger ce qui nous nourrit tous
Alors que la foule se disperse et que les tambours se taisent, une chose demeure dans l'air: le sentiment d'une responsabilité partagée. Il ne s'agit pas seulement de témoigner, mais d'agir, de s'exprimer et de protéger ce qui nous nourrit tou·te·s, parce que c'est quelque chose qui ne peut tout simplement pas être sacrifié pour des oléoducs, des profits ou des convenances politiques.
«Cet effort de coalition nous a permis de continuer à envisager des moyens de sortir de ces systèmes. C'était aussi l'occasion pour les organisateurs allochtones d'axer notre travail sur la détermination et la gouvernance autochtones », conclut Talynn. Pour elle, l'importance d'écouter les dirigeant·e·s autochtones et les membres de la communauté sans idées préconçues, ainsi que de rendre compte de ses paroles et de ses actions, est primordiale dans une optique de collaboration.

Une participante au rassemblement brandit une pancarte peinte à la main sur laquelle est écrit « Protégeons nos eaux ».
En fin de compte, Hands Off Our Water se voulait non seulement un effort de sensibilisation, mais aussi de responsabilisation. Le genre de responsabilité qui va au-delà des ordres du jour de sommets diplomatiques ou des communiqués de presse. Le genre qui reconnaît les dommages infligés et qui amorce le pivot d'un pouvoir purement rhétorique vers un leadership assumé et ancré dans le territoire.
Car l'eau ne doit jamais être une monnaie d'échange à la table des négociations des élites mondiales ; elle est la vie même, et il ne peut y avoir de justice sans la protéger. Le devoir de le faire nous incombe à nous tou·te·s.
Soutenir efforts de protection de l’eau menés par les organisations autochtones suivantes: Keepers of the Water, Indigenous Climate Action et la Piikani Nation (en anglais seulement).
Consulter ces ressources de sensibilisation conçues par Keepers of the Water (en anglais seulement).
En savoir davantage sur le projet de loi C-5.